Atelier 2

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Fenêtres sur le monde

Auteur: Marie Cosnay

Le monde est immense ; nous y circulons
Comme y circulent, au même rythme, dans le même temps, les richesses.
Nous y circulons ?
Certains y circulent - libres.
D’autres y circulent - quoi qu'il en soit.
D’autres sont empêchés de circuler
D’autres sont enfermés dans la circulation (apatrides, sans asile, non ad... Lire tout

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Fenêtres sur le monde

Auteur: Marie Cosnay


Le monde est immense ; nous y circulons
Comme y circulent, au même rythme, dans le même temps, les richesses.
Nous y circulons ?
Certains y circulent - libres.
D’autres y circulent - quoi qu'il en soit.
D’autres sont empêchés de circuler
D’autres sont enfermés dans la circulation (apatrides, sans asile, non admis, non régularisables, non expulsables) de camp en camp ou de centre en centre.
Pendant ce temps circulent les richesses.
Elle ne le font pas librement, elles non plus.

Souvent, elles se cachent, prélevées, dans les paradis fiscaux.


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Fenêtre en rétention

Auteur: Joelle Wintrebert

Fenêtre ouverte, le garçon appuie son front contre le croisillon. Tout un espace se livre à lui, vide et blanchi de nuages. D’en bas lui parvient un « tap-tap » obstiné. Il écoute, attentif, et fronce les sourcils quand d’autres bruits surviennent. Quel est ce long souffle rauque de machine hors d’haleine ? Un camion à l’arrêt, qui charge ou qui... Lire tout

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Fenêtre en rétention

Auteur: Joelle Wintrebert


Fenêtre ouverte, le garçon appuie son front contre le croisillon. Tout un espace se livre à lui, vide et blanchi de nuages. D’en bas lui parvient un « tap-tap » obstiné. Il écoute, attentif, et fronce les sourcils quand d’autres bruits surviennent. Quel est ce long souffle rauque de machine hors d’haleine ? Un camion à l’arrêt, qui charge ou qui décharge, assoiffé de marchandises ou d’ordures ? Il suscite bientôt une cacophonie de klaxons.
Puis ce sont des portes qui claquent, et voilà que ça s’interpelle, et que ça dérape en imprécations. Le garçon grimace. Il connaît bien la laideur des bouches quand, toutes dents dehors, elles vomissent leurs cris.
Une voix grave aux accents de velours intercède. Médiation inutile. La rue se chauffe à la colère. Un brasier délicieux dans la fraîcheur matinale. Qui s’étouffe à l’instant où les hoquets souffreteux du camion fautif annoncent la libération de la place. Les portières des belligérants claquent. Ronflement des moteurs.
La rue recouvre son calme. Désormais, seul le « tap-tap, tap-tap, tap-tap » du ballon sur le trottoir trouble un silence que perturbe à peine le passage chuintant de quelques voitures.
Le garçon synchronise sa respiration sur le tempo du ballon. « Tap-tap, tap-tap », il bondit avec le ballon, « tap-tap, tap-tap », il s’affranchit de la main qui le guide. Liberté !
Il se grise de l’odeur âcre du goudron, des vapeurs d’essence, des remugles rouillés d’un tas de ferraille oubliée. « Tap-tap, tap-tap », il avance dans la poussière, éternue, heureux, et se hâte de rejoindre la jolie fille qui sautille au rythme de son iPod, la jupe virevoltant au large de ses cuisses couleuvre. Sauvage, il bondit autour d’elle. Elle rit, enchantée de son audace, et il se penche pour boire à ses lèvres sanguines. Il tremble de plaisir, il tremble de désir… Hélas, le « tap-tap, tap-tap » du ballon se tait. Privé de son support, son passager vole en éclats.
Le front contre le croisillon, le garçon berce le souvenir des dents d’enfant de la fille. Il la retrouvera, tout à l’heure ou demain. Elle est son ange, sa guerrière, la déesse qui permet de supporter l’attente. Il suffira de trouver un nouveau véhicule. Le garçon n’en a jamais manqué. Il emprunte à sa guise les ailes de l’oiseau, le corps agile d’un chat ou d’un gecko. Hier, il s’est évadé sur les pattes graciles d’une araignée.


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Fenêtres

Auteur: Janine Teisson

Je vois la neige au dehors
Et contre la vitre glacée
La joue de l’enfant
Qui regarde
Frissonner les moineaux.
Mais moi,
Je ne veux plus rester
Au chaud derrière la fenêtre.
Mes yeux et mes oreilles,
Mon nez, ma bouche,
Sont mes fenêtres,
Ouvertes au monde
Qui me ... Lire tout

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Fenêtres

Auteur: Janine Teisson


Je vois la neige au dehors
Et contre la vitre glacée
La joue de l’enfant
Qui regarde
Frissonner les moineaux.
Mais moi,
Je ne veux plus rester
Au chaud derrière la fenêtre.
Mes yeux et mes oreilles,
Mon nez, ma bouche,
Sont mes fenêtres,
Ouvertes au monde
Qui me pénètre
Et vient en moi faire son nid,
Crier son cri.
Je suis,
Nous sommes,
Tu es
Fenêtre du monde,
Passage transparent
Entre le dehors et le dedans.

Cypres

Chez moi
Il y a un cyprès
Si près
De la maison
Qu’on l’entend
Soupirer.
Il y a d’autres cyprès
Si loin.
Ils dansent,
Muets.


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Enfant-lune

Auteur: Francoise Renaud

À peine sorti du ventre, il avait déjà cette tête-là, ronde et lisse, semblable à celle d’un baigneur en celluloïd des années soixante avec des yeux qui bougent dans leurs orbites et des paupières bordées de cils qui s’ouvrent et se ferment. On a envie de le prendre dans les bras, de lui essuyer la bouche les joues et de l’habiller pour qu’il n’... Lire tout

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Enfant-lune

Auteur: Francoise Renaud


À peine sorti du ventre, il avait déjà cette tête-là, ronde et lisse, semblable à celle d’un baigneur en celluloïd des années soixante avec des yeux qui bougent dans leurs orbites et des paupières bordées de cils qui s’ouvrent et se ferment. On a envie de le prendre dans les bras, de lui essuyer la bouche les joues et de l’habiller pour qu’il n’ait pas froid, ce gentil bonhomme abandonné au milieu des jouets.

(l’ovale du visage est souligné par un liseré bleu pâle qui suscite l’impression de lisse,
aucune trace de corruption,
le nez et la bouche sont finement ciselés)

Cet enfant est jeune, état où rien encore ne s’est dégradé.
Il a tout juste un an. Et il commence à être solide sur ses jambes. Quand il attrape un objet, il le serre fort contre lui — impossible de lui faire lâcher prise. Il aime posséder cette chose dure ou molle, bonne à manger, au moins à mâcher ou sucer. Le reste du temps, il rampe sur le plancher au milieu de peluches et autres jeux colorés censés le distraire. En fait il ressent de l’ennui et déjà cette profonde solitude à laquelle il doit s’habituer. Il lui arrive de baver ou de pleurer pour qu’on lui accorde de l’attention, mais ça ne marche pas à tous les coups. Alors il s’abandonne sur le côté et regarde la vilaine tapisserie à rayures, les reproductions de Van Gogh ou Gauguin encadrées de baguettes en bakélite, la haute fenêtre par laquelle pénètre le soleil.

C’est la fenêtre qu’il préfère.
Grâce à elle il perçoit les bruits, la vie des autres, le trafic. Il perçoit le chaud et le lumineux, il s’invente des ballons qui roulent à travers le ciel et des lunes blanches.

(tout se passe dans les yeux et autour des yeux, lumière des iris engloutie, dominée par celle du dehors
l’interrogation de la bouche prend le dessus, plage d’un blanc marbré soulignant le potelé du menton)

Les jours de grand vent, les rumeurs automobiles régressent au profit du bruissement des arbres proches du bâtiment. Une odeur de foin et de pollen entre par la fenêtre et remplit la chambre. L’enfant à croupetons explore la frange du tapis tout en semant des miettes de gâteau sec, ignorant toute forme de corruption et plus fort que la mort.



Illustration : acrylique sur toile de Jacki Maréchal


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Les trans-frontières

Auteur: Carole Menahem Lilin

Trans, ils sont trans,
Transgressifs malgré eux,
Transgresseurs de ce monde où les frontières se ferment.

Ces fondrières de nos mémoires
Ils les repoussent de leur front,
De leur intelligence à être,
N’aitre ici et aujourd’hui
Sans être renégats pour autant –
Vivacité, véracité.
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Les trans-frontières

Auteur: Carole Menahem Lilin


Trans, ils sont trans,
Transgressifs malgré eux,
Transgresseurs de ce monde où les frontières se ferment.

Ces fondrières de nos mémoires
Ils les repoussent de leur front,
De leur intelligence à être,
N’aitre ici et aujourd’hui
Sans être renégats pour autant –
Vivacité, véracité.

Trans, ils sont transe,
Transmetteurs de beauté fuguée
Agents d’une autre vérité
Dont la force s’enracine dans le manque.

C’est ce manque que nous refusons
En fermant devant eux nos portes, nos front-hiers,
Comme si le remède à la crise
Etait dans l’absence.

A l’abaissement du sens je préfère
La hauteur de la générosité
L’incitation à la fierté,
Au vouloir-renaitre ensemble
Dont ces transfuges se font l’écho.

Ce pays je l’aime, je me suis enracinée dans sa langue
A l’exception de toute autre,
Mais aujourd’hui ma langue éclate
Parce que l’avenir se ferme.

Nous sommes d’un temps qui refuse la jeunesse,
Les jeunesses,
Tout en leur faisant
Miroiter des alouettes…

Alors quoi ? Se fermer aussi ?

Je préfère, avec d’autres, chercher des clés.
Je préfère
Mettre du jeu dans ma langue,
Ensemble inventer de l’exploit, du possible
Du métis.

Quelle langue-mémoire peut perdurer
Si elle n’a fierté de sa fragilité ?
Quelle langue peut franchir l’espace du vide,
Devenir passerelle du temps,
S’il elle n’a conscience d’être tressée de multiples
Toujours en mouvement ?

J’ai dit multiples et non soustraction,
Noms plutôt que n’ombres,
Patrie des ombres sans visages.

Aux statistiques mutiques,
Je préfère les mots mutants.

A une langue qui ne veut plus rien dire
A force de négations
De renoncements,
Je préfère
La langue éclatée, écartelée s’il le faut,
Agile, argileuse,
Des potiers et des sensuels,
Celle des recommencements.

Langue vivante
Façonnée enrichie surjetée d’inconnu,
Comme d’heureuses surprises,
Brodée bordée d’étrange, d’estivants,
Surfilée d’intensités
Comme autant d’incitations à rester vigilants
Aux inventions et aux rencontres,

Langue-mémoire du pont, du brassage,
Des transfuges magnifiques,
Des deuils magnifiés,

Contre langue de bois des administra-tifs
Qui coupent en quatre les familles.

Oui, mémoire-langue du manque, du chagrin,
Mais qui sait rendre hommage,
Mémoire-mère aux parfums d’exil,
Saturée d’appels et d’amitiés,

Contre décrets sourds et raisons muettes.

Ce parler des déracinés,
Cette langue mnésique, si lourde,
Est pourtant celle de la légèreté.
Langue des musiques et des saveurs à foison.
C’est celle que parlaient mes grands-parents,
Celle qu’ont parlée bien souvent mes amis,
Et que malgré mon amour de la grammaire
(ma grand-mère à moi)
Je parle un peu moi aussi.

L’avenir est une légèreté apprise
Un pas conquis sur l’indifférence
Une aptitude à l’accueil
Qu’ont bien souvent les exilés
Et que j’aimerais garder.

Oui, j’aimerais être
De ceux dont la vigilance
Est tournée vers l’avenir,
Et qui ouvrant leur porte
Pour découvrir l’hôte
Sont dans l’expectative heureuse.

Que la langue s’élance,
Que la sagesse, même douloureusement acquise,
Ne pèse pas
A son tour,
Non ne pèse jamais
A son tour
Du poids bourrelé des bourreaux.


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